Quantcast
Channel: Bombay Magic » Résultats de recherche » epouse indienne nom
Viewing all articles
Browse latest Browse all 12

Un petit bout de chair

$
0
0

Un petit bout de chair dans Ma classe de gym article-2541713-1AC2556300000578-791_964x630

 

Sa mère lui avait dit qu’elle l’emmenait au cirque.

En fait de clown ou d’éléphant, elle a rencontré une inconnue. Une femme qui l’a entrainée dans une pièce sombre, a soulevé sa jupe, baissé sa culotte, glissé une main entre ses jambes et tiré fortement vers le bas.

Arshiya ne se souvient que d’une douleur indescriptible et de la peur panique qui l’a envahie. Et puis du sang. Elle venait d’être victime du Khatna, un rituel qui consiste à exciser le capuchon du clitoris et qui aujourd’hui encore, se pratique dans la communauté des Dawoori Bohras, une secte musulmane qu’on retrouve essentiellement au Gujarat, dans le Maharashtra et au Rajasthan.

Quand Arshiya me raconte cet épisode de son enfance, je suis saisie d’effroi. Elle répète une nouvelle fois qu’elle croyait aller au cirque, qu’elle adorait le cirque, enfant. Elle était joyeuse sur le trajet. Sa mère la ramènera ensuite directement à la maison, sans rien lui expliquer, mais avec pour instruction de ne rien dire ni à son père ni à ses camarades de classes. Elle ne doit plus parler de cet épisode, jamais. Arshiya a mal, très mal même, pendant des semaines. Mais elle n’a pas le droit de se plaindre.

Avant qu’Arshiya ne se confie – et qu’elle m’autorise à le relayer dans ce blog, parce qu’elle n’en peut plus de ce silence – j’avais entendu parler de la persistance des mutilations génitales dans certaines communautés indiennes. J’étais allée à la pêche aux informations, sur le net, où l’on ne trouve pas grand chose, auprès de mes amies indiennes, dont la plupart ignoraient même le concept d’excision. C’est dans ma classe de gym, constituée majoritairement de femmes Bohras, que j’avais soupçonné que peut-être, encore aujourd’hui à Bombay, les mutilations génitales perduraient. Passé le premier moment de surprise lorsque j’avais abordé le sujet ce jour-là, ma coach, musulmane Bohra convertie, s’était exclamée: « ah, tu veux dire la circoncision des femmes ? ». S’en était suivi un échange où j’essayais d’expliquer qu’excision et circoncision, ça n’était vraiment pas la même chose. Mais d’autres s’étaient tues pendant cette conversation. D’ordinaire enjouées et bavardes, elles restèrent étrangement silencieuses pendant tout le reste de la classe. Est-ce que j’extrapolais le malaise qu’elles semblaient projeter ?

Arshiya a grandi pour devenir une intellectuelle brillante. Un jour, aux Etats-Unis, dans une assemblée constituée d’autres intellectuels brillants, le sujet de l’excision a été abordé. Tous s’indignaient de ces pratiques arriérées et barbares. Elle s’est sentie anormale, qu’auraient pensé les autres de leur collègue indienne, si cultivée, si pertinente dans sa réflexion, si ils avaient su qu’elle était concernée?

J’ai voulu rencontrer une gynécologue. Elle même issue de la communauté Bohras, elle a été victime du rituel du Khatna. Elle examine régulièrement des patientes partiellement excisées – on n’enlève pas tout, m’explique-t-elle. Je lui demande si c’est à cause de ce qui lui est arrivée, fillette, qu’elle a voulu devenir gynécologue. Elle sourit et me dit que non, qu’elle m’en parle aujourd’hui mais que franchement, toute sa vie, elle a surtout essayé de gommer « ce jour-là » de sa mémoire. Mais songeuse, elle me confie que durant toute sa vie maritale, elle n’a pas connu l’orgasme, ou peut-être alors une ou deux fois, elle se demande si c’est lié. Elle me raconte aussi qu’on la sollicite parfois pour la délivrance d’un faux certificat où elle affirmerait avoir excisé sa patiente. Il faut avoir subi le Khatna pour être membre à part entière de la communauté Bohra. Aussi certains imams exigent-ils, lors d’un mariage entre l’un des leurs et une jeune femme issue d’une autre communauté, un certificat attestant que la future épouse a bien été excisée. Une sorte de mise aux normes. Elle a toujours refusé.

Elle s’attarde sur la misère sexuelle indienne. Au-delà du Khatna. Elle me raconte ces couples qui la consultent pour infertilité, mais lorsqu’elle examine la patiente, mariée depuis un an, dix-huit mois,, deux ans, elle la découvre toujours vierge. Le problème, c’est qu’on ne parle pas de sexe en Inde, on ne parle pas d’organes génitaux. Encore moins de clitoris. Toutes ces fillettes qu’on mutile ne comprennent pas ce qui leur arrive ce jour-là, pour beaucoup, elles ne le comprendront jamais. Quand l’imam parle du Khatna, c’est pour dire que les femmes Bohras doivent être fières, le Khatna, c’est un honneur qu’on leur fait, puisqu’elles sont ici traitées à l’égale des hommes, qui sont eux circoncis.

Le Khatna est tenu secret en dehors de la communauté Bohras. Il est possible même que les hommes, les maris, les pères, ne soient pas au courant. Celles-qui parlent s’exposent à être ostracisées. On me cite cette mère et sa fille qui ont décidé, non seulement de ne pas avoir recours au Khatna, mais de briser la loi du silence. L’imam les a exclues de la communauté. Alors, quelles femmes oseront parler ?

L’excision, totale ou partielle, n’est pas interdite en Inde. Celà s’explique en partie par le fait que le gouvernement est toujours très attentif à ne pas heurter les pratiques religieuses – même s’il faut noter, tristement, que la vie d’une vache a plus de valeur que l’intégrité du corps de la femme. Mais l’immense incapacité des indiens à parler de la chose sexuelle joue sans doute aussi beaucoup – alors qu’aujourd’hui encore, les controverses perdurent sur la nécessité de l’éducation sexuelle à l’école. Comment interdire une pratique qu’on ignore sur une partie du corps qu’on méconnait, par gêne, par pudeur ?

Cet après-midi là, quand j’ai rencontré Arshiya – je crois que nous n’avons pas touché, l’une et l’autre, à notre tasse de thé – on a convenu que ce silence était le plus gros problème. C’est pour ça qu’Arshiya m’a dit: « s’il te plait, écrit-le dans ton blog. Je suis même prête à ce que tu utilises ma photo. » Elle a cette beauté intérieure des femmes animées par une flamme sacrée, Arshiya. Elle a cette intensité, et puis cette douleur. Elle a un peu de rondeurs, un sourire éclatant, et des grands yeux expressifs. Elle est prête à exposer son nom, je me dis que c’est déjà courageux.

Et puis, j’apprends qu’un documentaire existe: « A pinch of skin ». « Une pincée de peau », qu’on coupe à la va-vite, dans le noir, sur le corps d’une fillette qu’on coince par surprise. Ce documentaire a été réalisé en 2012 par une jeune étudiante d’Ahmedabad, Priya Goswami. Mais on en a beaucoup moins parlé que de l’interdiction de l’abattage des vaches.

 

 


Viewing all articles
Browse latest Browse all 12

Latest Images

Trending Articles





Latest Images